SalariĂ© protĂ©gĂ© : pour ĂȘtre qualifiĂ© de lanceur alerte, le salariĂ© doit Ă©tayer ses accusations
Selon lâarticle L. 1132-3-3 du code du travail, le salariĂ© qui dĂ©nonce, de bonne foi, des faits constitutifs d’un dĂ©lit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, bĂ©nĂ©ficie dâune protection, notamment contre le licenciement.
Dans un arrĂȘt du 8 dĂ©cembre 2023, le Conseil dâĂtat est venu prĂ©ciser comment sâapprĂ©cie lâexigence de bonne foi attachĂ©e au statut de lanceur dâalerte pour un salariĂ© protĂ©gĂ©.
En lâespĂšce, un reprĂ©sentant syndical avait envoyĂ© plusieurs mails Ă des collĂšgues aux termes desquels il mettait en cause son ancien supĂ©rieur hiĂ©rarchique en lâaccusant, sans plus de prĂ©cision, de commettre un « dĂ©lit d’abus de bien social », et dĂ©nonçait « une longue liste de dĂ©lits », « des affaires de clientĂ©lisme, de nĂ©potisme, de conflits d’intĂ©rĂȘts », des « prises illĂ©gales d’intĂ©rĂȘts » ainsi que les « sombres activitĂ©s de certains dirigeants ». Il avait Ă©galement qualifiĂ© son supĂ©rieur hiĂ©rarchique de « sinistre personnage » et de « truand corrompu ».
Estimant que ces accusations caractérisaient un comportement fautif, son employeur avait sollicité une autorisation de licenciement acceptée sur recours hiérarchique.
Le reprĂ©sentant syndical a alors contestĂ© cette dĂ©cision, estimant quâelle mĂ©connaissait la protection des lanceurs dâalerte.
Dans son arrĂȘt, le Conseil dâĂtat prĂ©cise quâil appartient Ă lâautoritĂ© administrative de rechercher :
- Si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit;
- Si le salariĂ© en a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, et
- S’il peut ĂȘtre regardĂ© comme ayant agi de bonne foi.
Lorsque ces trois conditions sont remplies, l’autoritĂ© administrative doit refuser d’autoriser le licenciement.
Au cas dâespĂšce, le Conseil dâĂtat a estimĂ©, au regard des piĂšces du dossier, que les accusations profĂ©rĂ©es par le salariĂ© Ă©taient rĂ©digĂ©es en des termes gĂ©nĂ©raux et outranciers, et quâil nâa jamais Ă©tĂ© en mesure de les prĂ©ciser, ou de les Ă©tayer par le moindre Ă©lĂ©ment, malgrĂ© les demandes de prĂ©cision de la direction.
Les juges en ont alors dĂ©duit que la condition liĂ©e Ă la bonne foi du salariĂ©, nĂ©cessaire Ă l’application de la protection du lanceur d’alerte, nâĂ©tait pas remplie, et ont jugĂ© que le licenciement pour faute pouvait ĂȘtre autorisĂ©.
On constate donc que le Conseil dâĂtat a une apprĂ©ciation plus large de la bonne foi que celle retenue par la Cour de cassation qui estime que la mauvaise foi ne peut rĂ©sulter que de la connaissance de la faussetĂ© des faits dĂ©noncĂ©s par le salariĂ©, et non de la seule circonstance que les faits dĂ©noncĂ©s ne sont pas Ă©tablis (Cass., soc., 13 sept 2023, n° 21-22.301).
Les employeurs, confrontĂ©s Ă une telle situation, devront donc ĂȘtre vigilants avant de lancer une procĂ©dure de licenciement, lâapprĂ©ciation de la bonne foi nâĂ©tant, Ă date, pas la mĂȘme selon que le salariĂ© soit protĂ©gĂ© ou non.
Conseil d’Ătat, 4Ăšme – 1Ăšre chambres rĂ©unies, 08/12/2023, 435266